Hybridity

Le but de ce col­lo­que inter­na­tio­nal est de faire le point sur la notion d’hybri­dité afin d’en évaluer la portée en lit­té­ra­ture et dans les arts visuels. Si le concept est par­ti­cu­liè­re­ment répandu dans le milieu anglo­phone (Grande-Bretagne, Amérique du Nord et monde post­co­lo­nial), il se révèle également per­ti­nent dans le contexte des lit­té­ra­tu­res fran­co­pho­nes et his­pa­no­pho­nes (Amérique latine et Caraïbes en par­ti­cu­lier) : les com­mu­ni­ca­tions pour­ront par consé­quent porter sur des pro­duc­tions des aires de langue anglaise, mais aussi fran­çaise, espa­gnole et por­tu­gaise.

Au cours des deux der­niè­res décen­nies, le concept d’hybri­dité a sus­cité de nom­breux débats et donné lieu à de mul­ti­ples publi­ca­tions : terme gal­vaudé que cer­tains emploient avec désin­vol­ture pour qua­li­fier une masse dis­pa­rate de sujets et d’objets dans des domai­nes très divers, il est sou­vent asso­cié à des notions telles que métis­sage (ou « mes­ti­zaje »), créo­li­sa­tion, syn­cré­tisme, dia­spora et trans­cultu­ra­tion. Lors de nos tra­vaux, il convien­dra de se pré­mu­nir d’une part contre un défaut de dis­cri­mi­na­tion qui mène à une pro­li­fé­ra­tion de sens et une bana­li­sa­tion du concept et d’autre part contre une ten­dance à l’essen­tia­li­ser. Il s’agira d’en retra­cer l’évolution et les ava­tars : prin­cipe honni par les par­ti­sans de la pureté raciale, pro­ces­sus reven­di­qué avec enthou­siasme par les adep­tes du mélange et du syn­cré­tisme, l’hybri­dité est également une notion envi­sa­gée avec sus­pi­cion par ceux qui déplo­rent sa dimen­sion pro­téi­forme et triom­pha­liste, et son défaut d’enra­ci­ne­ment poli­ti­que. Ces trois orien­ta­tions géné­ra­les ont donné lieu non seu­le­ment à des déve­lop­pe­ments théo­ri­ques mais aussi à des créa­tions lit­té­rai­res et à des mani­fes­ta­tions artis­ti­ques que nous nous pro­po­sons d’ana­ly­ser au cours de ce col­lo­que.

Le terme d’hybri­dité trouve son ori­gine en bio­lo­gie et en bota­ni­que où il dési­gne le croi­se­ment de deux espè­ces, par pol­li­ni­sa­tion croi­sée, qui donne nais­sance à une troi­sième espèce. À l’époque vic­to­rienne où les dif­fé­ren­tes races étaient iden­ti­fiées à des espè­ces, mais aussi dans les dis­cours essen­tia­lis­tes colo­niaux et natio­na­lis­tes qui défen­dent un mythe de pureté, le concept d’hybri­dité se trouva en butte à des atta­ques enta­chées de conno­ta­tions racia­les et racis­tes. On pourra ainsi consi­dé­rer com­ment la ques­tion de l’hybri­dité peut donner aux œuvres lit­té­rai­res et artis­ti­ques une dimen­sion poli­ti­que et éthique. Sous l’impul­sion de Homi Bhabha qui s’ins­pira lui-même d’écrivains tels que Salman Rushdie ou Toni Morrison, mais aussi sous la plume de Paul Gilroy, Stuart Hall ou James Clifford, la théo­rie post­co­lo­niale s’est empa­rée de la notion d’hybri­dité pour dési­gner des formes trans­cultu­rel­les nées de croi­se­ments lin­guis­ti­ques, poli­ti­ques ou eth­ni­ques, et s’écarter des bina­ris­mes et symé­tries en place (Est/Ouest, noir/blanc, colo­ni­sa­teur/colo­nisé, majo­rité/mino­rité, soi/autre, inté­rieur/exté­rieur…). L’hybri­dité s’oppose alors au mythe de la pureté et de l’authen­ti­cité racia­les et cultu­rel­les, de l’iden­tité fixe et essen­tia­liste, pour pri­vi­lé­gier le mélange, le métis­sage, le syn­cré­tisme, et favo­ri­ser le com­po­site, l’impur, l’hété­ro­gène, l’éclectique. Elle se pré­sente comme un dis­cours alter­na­tif qui sub­ver­tit l’idée même d’une culture domi­nante et d’un canon unique, et invite à repen­ser les struc­tu­res de pou­voir. Le concept est intrin­sè­que­ment lié à la notion d’iden­tité, en par­ti­cu­lier pour les indi­vi­dus qui se par­ta­gent entre plu­sieurs cultu­res, les migrants, les com­mu­nau­tés dia­spo­ri­ques, mais aussi à la ques­tion des lan­gues (phé­no­mè­nes de créo­li­sa­tion) et du mélange des cultu­res et tra­di­tions. On pourra ana­ly­ser la manière dont les œuvres lit­té­rai­res et artis­ti­ques repré­sen­tent ces per­son­na­ges aux iden­ti­tés mul­ti­ples et aux ori­gi­nes mêlées qui vivent avec plus ou moins de bon­heur leur posi­tion­ne­ment hybride et que la société accueille avec plus ou moins de bien­veillance. On pourra également ana­ly­ser com­ment les moda­li­tés d’écriture elles-mêmes ont ou non été affec­tées par les pro­ces­sus inter-cultu­rels : la langue elle-même peut se trans­for­mer et se faire hybride, tandis que d’autres auteurs, à l’inverse, cher­chent selon diver­ses stra­té­gies à s’ins­crire malgré tout dans la langue « domi­nante ».

Ce col­lo­que sera enfin l’occa­sion de se deman­der dans quelle mesure les enjeux et les formes de l’hybri­dité ont pu évoluer au fil du temps : peut-elle, doit-elle se penser selon des modes dif­fé­rents selon qu’on consi­dère la lit­té­ra­ture afro-amé­ri­caine du XIXe siècle, la lit­té­ra­ture his­pano-amé­ri­caine contem­po­raine ou les lit­té­ra­tu­res post­co­lo­nia­les d’un monde glo­ba­lisé ? À une époque où les notions de fron­tière et d’iden­tité natio­nale sont cons­tam­ment redé­fi­nies, cer­tains com­men­ta­teurs ont en effet envi­sagé l’hybri­dité comme un effet cultu­rel de la glo­ba­li­sa­tion (concept lui-même nul­le­ment uni­vo­que). On pourra s’inter­ro­ger sur le sens que recou­vre le terme d’hybri­dité dans un uni­vers glo­ba­lisé qui tend à gommer les dif­fé­ren­ces et les ins­crip­tions loca­les, mais dans lequel aussi les par­ti­cu­la­ris­mes et l’esprit de clo­cher refont insi­dieu­se­ment sur­face, par le biais notam­ment de replis iden­ti­tai­res et com­mu­nau­ta­ris­tes et/ou d’inté­gris­mes reli­gieux qui insis­tent sur l’uni­cité, la pureté et l’inté­grité des iden­ti­tés et culti­vent l’endo­ga­mie et le rejet de l’Autre.


Comité orga­ni­sa­teur :


Colloque orga­nisé dans le cadre du labo­ra­toire LIRE (UMR 5611)