Hybridity

Sihem Arfaoui Abidi : « Le dilemme du monde de l’entre-deux : peines et plai­sirs de l’hybri­dité dans des mémoi­res arabes et arabo-amé­ri­cains »

Les dis­cus­sions rela­ti­ves à la ques­tion de l’hybri­dité dans des œuvres telles que The Bluest Eye ou The Woman Warrior sont pres­que deve­nues chose com­mune pour les lec­teurs de lit­té­ra­ture amé­ri­caine Les événements du 11 sep­tem­bre ont sans doute permis d’atti­rer l’atten­tion vers un autre pan impor­tant de cette lit­té­ra­ture tels que les écrits arabes et arabo-amé­ri­cains qui ont eux aussi contri­bué aux dis­cus­sions sur ce dilemme cultu­rel. Il ne s’agit pas ici de sug­gé­rer que la fic­tion arabo-amé­ri­caine est plus ori­gi­nale lorsqu’il est ques­tion d’hybri­dité, mais plutôt d’indi­quer qu’elle doit être prise en compte dans l’arti­cu­la­tion de ce thème. C’est dans cet esprit que cette com­mu­ni­ca­tion ten­tera d’explo­rer l’impor­tance de la ques­tion hybride et de ses repré­sen­ta­tions à tra­vers l’ana­lyse de Dreams of Trespass (1994) de Fatima Mernissi et The Language of Baklava de Diana Abu-Jaber. Dans ces deux mémoi­res, les per­son­na­ges oscil­lent entre des expé­rien­ces dou­lou­reu­ses et d’autres de plai­sir, liées à leur quête iden­ti­taire. En pre­mier lieu, Mernissi et Abu-Jaber racontent des his­toi­res dou­lou­reu­ses d’exil, d’ins­ta­bi­lité, et de non-appar­te­nance de per­son­na­ges qui sont sans cesse à la recher­che de raci­nes. D’autre part, leurs tra­vaux exploi­tent le poten­tiel de tout mélange et syn­cré­tisme, tel qu’il est reflété dans la soli­da­rité inter­cultu­relle et les défis à l’homo­gé­néité et à la symé­trie entre Orient et Occident.


Claudine Armand : « Modalités et pra­ti­ques d’hybri­da­tion dans l’œuvre de Fred Wilson »

Fred Wilson est un artiste concep­tuel afro-amé­ri­cain (né à New York en 1954) dont le tra­vail plu­ri­dis­ci­pli­naire se nour­rit de diver­ses sour­ces emprun­tées à l’his­toire de l’art, à l’archi­tec­ture et à l’anthro­po­lo­gie. Sa pra­ti­que noma­di­que l’amène à s’appro­prier et explo­rer des espa­ces hété­ro­gè­nes, inté­rieurs et exté­rieurs, tou­jours char­gés d’his­toire. En tant qu’artiste, il aime aussi exer­cer dif­fé­rents rôles (conser­va­teur, col­lec­tion­neur, guide confé­ren­cier, spec­ta­teur). Sa démar­che s’ins­crit dans une pers­pec­tive post­mo­derne et post­co­lo­niale d’inter­ro­ga­tion, de décloi­son­ne­ment des caté­go­ries tra­di­tion­nel­les et de ques­tion­ne­ment de lieux et d’ins­ti­tu­tions publi­ques et muséa­les dont il s’appro­prie les codes et le lan­gage afin d’en révé­ler les man­ques, les insuf­fi­san­ces et les arca­nes. L’objet de cette com­mu­ni­ca­tion est de s’inter­ro­ger sur le pro­ces­sus d’hybri­da­tion – géné­ri­que, for­melle, fonc­tion­nelle – qui pré­side à l’élaboration de sa pra­ti­que artis­ti­que. Pour ce faire, il convien­dra d’ana­ly­ser les stra­té­gies d’appro­pria­tion et les diver­ses formes d’hybri­dité qui, chez cet artiste, sont inti­me­ment liées à des ques­tions d’iden­tité et de repré­sen­ta­tion. Il s’agira de mon­trer également com­ment Wilson cons­truit un art mul­ti­forme et une esthé­ti­que du métis­sage à partir d’ins­tal­la­tions, son médium de pré­di­lec­tion. Ses ins­tal­la­tions sont des espa­ces flui­des et ouverts, des lieux d’inte­rac­tion et d’imbri­ca­tion de gestes mul­ti­ples.


Markus Arnold : « Visions cos­mo­po­li­ti­ques et erran­ces mémo­riel­les : les vire­vol­tes iden­ti­tai­res dans l’œuvre du roman­cier mau­ri­cien Amal Sewtohul »

Depuis quel­ques années, une jeune géné­ra­tion d’auteurs enri­chit le pay­sage roma­nes­que de l’île Maurice par des repré­sen­ta­tions nova­tri­ces d’iden­ti­tés anti-essen­tia­lis­tes. Divergeant des cou­rants ‘créo­li­sants’ des Antilles ou de La Réunion, ces voix enga­gées (A. Devi, N. Appanah, S. Patel, etc.) s’oppo­sent à l’hégé­mo­nie d’un mul­ti­cultu­ra­lisme figé cher aux dis­cours offi­ciels et aux concep­tions tra­di­tion­na­lis­tes mau­ri­ciens. En vue d’un dia­lo­gue inte­reth­ni­que, les auteurs trans­gres­sent les bar­riè­res com­mu­nau­ta­ris­tes et sub­ver­tis­sent les idées de pureté et d’homo­gé­néité iden­ti­tai­res par dif­fé­ren­tes mises en scène de la créo­li­sa­tion. Notre com­mu­ni­ca­tion pro­pose d’ana­ly­ser d’abord com­ment les romans d’Amal Sewtohul – Histoire d’Ashok (2001) et Les voya­ges et aven­tu­res de Sanjay (2009) – répon­dent également à une telle esthé­ti­que de l’hybri­dité. Ensuite, nous ver­rons à quel niveau ils en diver­gent en tis­sant une poé­ti­que inno­va­trice en contraste avec les voix lit­té­rai­res actuel­le­ment ‘en vogue’ à Maurice. Les visions hybri­des de Sewtohul peu­vent ainsi être consi­dé­rées comme des pro­po­si­tions d’un dia­lo­gue trans­cultu­rel. Mais ne mon­trent-elles pas en même temps les limi­tes de l’enga­ge­ment poli­ti­que ? Ne cou­rent-elles pas le risque d’un élitisme cos­mo­po­li­ti­que bien éloigné des réa­li­tés mau­ri­cien­nes ?


Myriam Bellehigue : « Love Medicine de Louise Erdrich : esthé­ti­que du sang-mêlé »

Louise Erdrich est une roman­cière contem­po­raine d’ori­gine amé­rin­dienne qui se défi­nit d’abord comme une sang-mêlé : “One of the cha­rac­te­ris­tics of being a mixed-blood is sear­ching. You look back and say, ‘Where am I from ?’ You must ques­tion. You must make cer­tain choi­ces. You’re able to. And it’s a bles­sing and it’s a curse.” Cette quête iden­ti­taire est au cœur de tous ses récits. Love Medicine, d’abord publié en 1984 puis rema­nié et réé­dité en 1993, est le pre­mier roman d’une longue série consa­crée à la com­mu­nauté Chippewa de la Turtle Mountain Reservation dans le Dakota du Nord où se situe une partie des ori­gi­nes de l’auteur. L’œuvre est en fait une série de nou­vel­les inter­connec­tées retra­çant l’his­toire de divers mem­bres de la com­mu­nauté au cours du 20e siècle. L’arrière-plan his­to­ri­que, poli­ti­que et social sou­tient la thé­ma­ti­que pré­gnante du métis­sage cultu­rel, lin­guis­ti­que, reli­gieux. Si l’hybri­dité est une thé­ma­ti­que cons­tante et plu­rielle, elle est aussi l’esthé­ti­que choi­sie par Erdrich qui pri­vi­lé­gie la marge pour abor­der les ques­tions de croi­se­ment et de mixité : “I am on the edge, have always been on the edge, flou­rish on the edge, and I don’t think I belong anyw­here else.” Dans Love Medicine, Erdrich s’ins­crit dans le sillage de nom­breu­ses tra­di­tions : la tra­di­tion orale indienne du sto­ry­tel­ling et les écrits de contem­po­rains amé­rin­diens mais aussi la lit­té­ra­ture amé­ri­caine au sens large – impor­tance de Faulkner ou de nou­vel­lis­tes comme Flannery O’Connor, sans oublier la tra­di­tion euro­péenne des contes pour enfant ou de la mytho­lo­gie grec­que… A cette riche inter­tex­tua­lité s’ajou­tent les stra­té­gies pro­pres au short story cycle : kaléi­do­sco­pie nar­ra­tive, poly­pho­nie, échos, repri­ses et varia­tions. Ce genre hybride permet un tra­vail sur la poro­sité et la cir­cu­la­tion. L’inter­tex­tua­lité comme pol­li­ni­sa­tion tex­tuelle contri­bue à la dis­so­lu­tion des limi­tes, aux reconfi­gu­ra­tions per­pé­tuel­les. Et c’est para­doxa­le­ment à tra­vers cette esthé­ti­que de l’effa­ce­ment et de la fusion qu’Erdrich tra­vaille à la per­pé­tua­tion d’une mémoire : “In the light of enor­mous loss, they [Native American wri­ters] must tell the sto­ries of contem­po­rary sur­vi­vors while pro­tec­ting and cele­bra­ting the cores of cultu­res left in the wake of the catas­tro­phe.”


Salhia Ben-Messahel : « L’hybri­dité, site de la dif­fe­rence dans The Red Thread de Nicholas Jose et Dreams of Speaking de Gail Jones »

La lit­té­ra­ture aus­tra­lienne des der­niè­res années montre un inté­rêt marqué pour la ques­tion cultu­relle et la néces­sité de réconci­lier des cultu­res et his­toi­res anti­no­mi­ques, l’his­toire indi­gène et l’his­toire non-indi­gène, dans un espace post­co­lo­nial et inter­na­tio­nal. Les romans de Nicholas Jose et Gail Jones abor­dent les rela­tions inter­cultu­rel­les et trans­cultu­rel­les, et des­si­nent un espace de l’entre-deux, site de la dif­fé­rence. L’iden­tité et l’étrangéité d’une nation mul­ti­cultu­relle située en Asie-paci­fi­que se mani­fes­tent par le biais d’une cons­truc­tion inter­cultu­relle qui trans­gresse à la fois le temps et l’espace. « Temps » et « Espace » génè­rent un texte hybride qui s’appuie sur l’inter­po­la­tion et le dia­lo­gisme ; qui bous­cule les fron­tiè­res du genre et du dis­cours. Concept domi­nant du dis­cours post­co­lo­nial, l’hybri­dité pré­sup­pose que le centre est une réa­lité décen­trée, bous­cule la linéa­lité pour lais­ser place à une plu­ra­lité spa­tiale, et pense la post­co­lo­nia­lité en terme de jeu tex­tuel. L’inter­tex­tua­lité des his­toi­res mises en œuvre par Nicholas Jose et Gail Jones, qui peut être vue dans le cadre d’une appro­che post­mo­derne, est une manière de débat­tre de la notion d’iden­tité (mul­ti­cultu­relle) et de dépla­ce­ment, de reje­ter une vision euro­cen­tri­que du monde, de s’inter­ro­ger sur la diver­sité ; de géné­rer un monde du texte, arté­fact qui reflète le monde réel dans un espace glo­ba­lisé mor­celé.


Elisabeth Bouzonviller : « Fêlures et “bri­co­lage” dans The Antilope Wife de Louise Erdrich ou l’art de l’hybri­da­tion »

Romancière métisse, Louise Erdrich célè­bre une Amérique de la mul­ti­pli­cité dans le fond et la forme tout en lut­tant contre l’obli­té­ra­tion du sou­ve­nir qui hante la nation et cer­tains pans de son his­toire. The Antilope Wife se déroule prin­ci­pa­le­ment à Minneapolis et non dans la réserve indienne ojibwe proche de la ville ima­gi­naire d’Argus de la plu­part de ses romans, cepen­dant sa trame nar­ra­tive tisse des liens cons­tants avec la terre des ori­gi­nes, quel­que part dans l’Ouest, là où une fêlure ori­gi­nelle a marqué le destin de trois famil­les qui mêlent Blancs, Métis et Ojibwe. Nous nous pro­po­sons d’étudier com­ment dans le fond et la forme (struc­ture et langue), Erdrich se joue des cadres rigi­des et replis iden­ti­tai­res pour pro­po­ser une lec­ture hybride de l’Amérique à tra­vers ce roman en par­ti­cu­lier. A l’inverse de nom­breux roman­ciers autoch­to­nes plus ouver­te­ment enga­gés poli­ti­que­ment, comme Silko ou Momaday, qui pri­vi­lé­gient le motif du retour à la réserve et aux tra­di­tions, Erdrich offre une écriture hybride qui mêlent les ori­gi­nes humai­nes, géo­gra­phi­ques et lit­té­rai­res, une écriture qui s’accom­mode de la moder­nité et de la diver­sité à la manière du « bri­co­leur » de Lévi-Strauss.


Marilyne Brun : « Métissage racial et lit­té­raire dans Shanghai Dancing de Brian Castro »

Les neuf romans de l’écrivain aus­tra­lien contem­po­rain Brian Castro offrent une repré­sen­ta­tion du métis­sage par­ti­cu­liè­re­ment inté­res­sante. La plu­part des héros de Castro sont des métis, et leur iden­tité eth­ni­que est sou­vent empreinte d’ambi­guïté. Castro remar­qua­ble est qu’il sug­gère, dans ses essais, que le métis­sage inter­vient aussi dans son œuvre comme trope lit­té­raire. Ainsi, il est essen­tiel de com­pren­dre com­ment Castro uti­lise le métis­sage à un niveau aussi bien thé­ma­ti­que que poé­ti­que dans ses romans, et d’appré­hen­der la rela­tion qu’il établit entre la repré­sen­ta­tion du sujet métis et son esthé­ti­que hybride. Cette com­mu­ni­ca­tion se concen­tre sur le sep­tième roman de Castro, Shanghai Dancing (2003), qui retrace la quête iden­ti­taire d’Antonio Castro. Alors que le roman repré­sente le métis­sage racial de manière ambigüe, le récit peut aussi être décrit comme fon­da­men­ta­le­ment hybride grâce à son mélange de genres et sa com­plexité inter­tex­tuelle. Je sug­gère, en me basant sur le tra­vail de Salman Rushdie et de Fred Wah, que Shanghai Dancing asso­cie le métis­sage racial et lit­té­raire, et sou­li­gne ainsi non seu­le­ment la pré­sence de formes racis­tes dans le lan­gage, mais aussi le désir d’homo­gé­néité qui existe dans la lit­té­ra­ture cano­ni­que.


Simona Corso : « Les aven­tu­res de Robinson dans un monde hybride »

Dans son dis­cours de récep­tion du prix Nobel, inti­tulé « He and His Man » (2003), J. M. Coetzee évoque un vieux et sombre Robinson Crusoe qui saisit la plume mais ne trouve pas les mots. « Son homme » en revan­che, dîne certes avec lui mais passe ses jour­nées dans les rues de l’Angleterre, à la chasse aux his­toi­res, rem­plis­sant son carnet de repor­ta­ges – scènes de la vie quo­ti­dienne, tra­gi­ques, ten­dres ou amu­san­tes. En lisant et reli­sant ces repor­ta­ges, Robinson com­prend que ces his­toi­res là sont des figu­res de sa propre vie, des événements qu’il a vécus sur l’île bien des années aupa­ra­vant. Puisqu’il a perdu la parole, l’éloquence de son homme l’irrite, tout comme autre­fois il était agacé par ses nom­breux imi­ta­teurs qui, tels des can­ni­ba­les, se nour­ris­saient de son « his­toire d’île », « c’est-à-dire sa vie ». Néanmoins, Robinson se console : « il n’existe dans le monde qu’une poi­gnée de récits ; et si on inter­dit aux jeunes de pira­ter les anciens, il leur faut alors à jamais garder le silence ». Alors qu’il est consa­cré comme l’un des plus grands écrivains actuels, Coetzee se tourne, comme on pou­vait s’y atten­dre, vers la figure de Crusoe. L’his­toire de Robinson – l’un des mythes les plus puis­sants de la culture anglaise – obsède l’ima­gi­na­tion des écrivains post­co­lo­niaux. Elle est une source d’ins­pi­ra­tion directe pour Foe (1986) de Coetzee, Pantomime (1978) de Derek Walcott, mais elle résonne aussi dans plu­sieurs nar­ra­tions ou épisodes qui met­tent en évidence le rap­port entre maître et ser­vi­teur – One out of Many (1971) de V. S. Naipaul, Moses Ascending (1975) de Sam Selvon. Coetzee, Walcott, Selvon et Naipaul défont la culture anglaise à partir des ses marges hypo­thé­ti­ques, en écrivant de nou­veau, quel­que­fois de façon tra­gi­que, d’autres fois sur un mode comi­que, l’his­toire de Robinson et Vendredi. Ces auteurs s’inter­ro­gent sur la vio­lence qui imprè­gne toutes formes d’hégé­mo­nie cultu­relle, sur le statut de la vérité his­to­ri­que, sur le pri­vi­lège d’avoir une voix, mais aussi sur le poten­tiel d’ironie et de satire que recèle tout ren­ver­se­ment d’un mythe lit­té­raire cano­nisé. À partir d’exem­ples extraits de textes de J. M. Coetzee, Derek Walcott, Sam Selvon, et V. S. Naipaul, je pro­pose d’explo­rer la com­plexité de l’his­toire de Robinson et son impor­tance dans la lit­té­ra­ture post­co­lo­niale, non seu­le­ment en tant que mythème cen­tral du colo­nia­lisme moderne, mais aussi en tant que labo­ra­toire fas­ci­nant d’hybri­dité et de satire.


Sophie Dannenmüller : « ‘Le Café Mestizo : un mélange si riche que l’on s’aban­donne au plai­sir’ : la fonc­tion cri­ti­que du médium dans les sculp­tu­res hybri­des de David Avalos »

Le concept d’hybri­dité est intrin­sè­que à l’iden­tité et la culture des Chicanos (Mexicano-amé­ri­cains). En 1989, l’artiste Chicano cali­for­nien, David Avalos (1947-), réa­lise l’ins­tal­la­tion Café Mestizo pour défen­dre la notion de métis­sage et dénon­cer la conno­ta­tion raciste du terme ‘half-breed’ (métis). Au ‘menu’ du Café Mestizo figu­rent des ‘assiet­tes mixtes’ (Combinaison Platters) sous forme de cons­truc­tions hybri­des, col­lec­ti­ve­ment inti­tu­lées Hubcap Milagros. ‘Milagro’ (mira­cle) dési­gne les ex-voto carac­té­ris­ti­ques du catho­li­cisme mexi­cain ; ‘Hubcap’ (enjo­li­veur) fait allu­sion aux voi­tu­res cus­to­mi­sées des Chicanos (lowri­ders). Les sculp­tu­res se com­po­sent d’objets lourds de signi­fi­ca­tion : fil bar­belé, revol­ver, toma­hawk, enjo­li­veur, piments, cactus, Sacré-cœur, vagina den­tata… En asso­ciant des objets emblé­ma­ti­ques, Junípero Serra’s Next Miracle : Turning Blood into Thunderbird Wine, par exem­ple, décons­truit le mythe de la colo­ni­sa­tion idyl­li­que pour contes­ter la cano­ni­sa­tion du mis­sion­naire fran­cis­cain en 1989 ; The Straight-Razor Taco repré­sente l’affron­te­ment des civi­li­sa­tions indi­gè­nes et euro­péen­nes à tra­vers une relec­ture de The Last of the Mohicans de James Fenimore Cooper qui pros­cri­vait insi­dieu­se­ment la mis­cé­gé­na­tion. Cette com­mu­ni­ca­tion ana­ly­sera l’adé­qua­tion entre le médium et le propos poli­ti­que dans les œuvres com­po­si­tes de Avalos qui fusion­nent et confron­tent cultu­res anglo et mexi­caine, arts mineur et majeur, pro­fane et sacré, légen­des et faits his­to­ri­ques, pour expo­ser la condi­tion contem­po­raine des Chicanos.


Anne Dromart : « Hybridité, légi­ti­mité et iden­tité dans l’œuvre de Daniel Defoe »

En appe­lant les anglais peuple hybride dans The True-Born Englishman publié en 1700 en réponse au pam­phlet de John Tutchin inti­tulé Les Etrangers, Daniel Defoe refuse que la pureté eth­ni­que serve d’assise au natio­na­lisme. Il pro­pose une défi­ni­tion nou­velle de l’angli­cité en s’appuyant sur les notions de légi­ti­mité et d’iden­tité indi­vi­duelle. Ce qu’il cher­che à faire dans ce pam­phlet dans un but moral et poli­ti­que se retrouve dans ses romans ou dans ses autres écrits où il refuse de voir quoi que ce soit de dia­bo­li­que ou de sub­ver­sif dans le métis­sage, contrai­re­ment à la croyance tra­di­tion­nelle, afin de mon­trer que la véri­ta­ble iden­tité d’un indi­vidu ne se déduit pas de sa généa­lo­gie. Dans le sillage de la Glorieuse Révolution de 1688, les thèmes de bâtar­dise en lit­té­ra­ture et de légi­ti­mité en poli­ti­que sont pro­ches et par­ti­ci­pent d’une même réflexion sur la valeur propre d’un indi­vidu, ce qui amène Defoe à défen­dre la mobi­lité sociale.


Corinne Duboin : « Littérature de l’Atlantique noir anglo­phone : esthé­ti­que, hybri­dité et mon­dia­lité artis­ti­que »

Dans le contexte actuel, où la post­co­lo­nia­lité semble dis­pa­raî­tre pro­gres­si­ve­ment au profit d’une trans­cultu­ra­lité mon­dia­li­sée et où les écrivains eux-mêmes se font noma­des et devien­nent les figu­res cos­mo­po­li­tes de ce que Pico Ayer appelle The Global Soul « in the modern, post­na­tio­nal globe », on peut s’inter­ro­ger sur l’évolution et la place à venir des lit­té­ra­tu­res dia­spo­ri­ques et migran­tes. Les nou­vel­les mobi­li­tés de la dia­spora noire pro­dui­sent non seu­le­ment plus de diver­sité en son sein, mais également de nou­vel­les hybri­di­tés et connexions inter­cultu­rel­les conju­guant ten­sion et fusion qu’il convient d’exa­mi­ner dans une pers­pec­tive qui révise l’appro­che post­co­lo­nia­liste, en s’inté­res­sant non plus uni­que­ment aux rela­tions « ver­ti­ca­les » binai­res, mais « laté­ra­les » (F. Lionnet & S. Shih, Minor Transnationalism). Je pro­pose ici, dans une lec­ture trans­ver­sale, de mon­trer com­ment les écrivains de la lit­té­ra­ture noire des Etats-Unis et de la Caraïbe anglo­phone dis­sé­mi­née dans l’espace Atlantique ins­cri­vent leurs œuvres dans un « tiers espace » tex­tuel, reflet d’une limi­na­lité onto­lo­gi­que. Ceux-ci élaborent leurs pro­pres canons dans un pro­ces­sus d’hybri­da­tion tex­tuelle, une négo­cia­tion de nou­veaux codes qui mêlent le même au dif­fé­rent dans l’inte­rac­ti­vité, pro­cé­dant à un décen­tre­ment plu­ra­liste de l’écriture et à une nou­velle mise en ordre du monde.


Françoise Dupeyron-Lafay : « Dénaturation, conta­mi­na­tion et hybri­dité dans l’œuvre auto­bio­gra­phi­que (1821-1853) de Thomas De Quincey »

Vers la fin de sa vie, T. De Quincey évoquait la tor­ture pré­da­trice infli­gée par sa mémoire : « It is like being a vam­pire who sucks his own blood, for the man who is cursed with a good memory is ‘a fiery heau­ton­ti­mo­rou­me­nos (or self-tor­men­tor)’ ». On voit ici, par le recours au modèle grec anti­que, et sur­tout à l’image nova­trice du vam­pire (l’étranger venu de l’Est, bien avant Carmilla ou Dracula), le rôle de l’hybri­da­tion dans sa vie et dans son œuvre. De fait, le titre de la nou­velle de Conan Doyle, « The Sussex Vampire » (1924) fait figure d’oxy­more dans une opti­que natio­na­liste et sou­li­gne la nature exo­gène appa­rente du vam­pi­risme en plein cœur de l’Angleterre. Comment De Quincey en est-il donc arrivé là, par quelle lente et dou­lou­reuse méta­mor­phose s’est-il ainsi mué en créa­ture autre, en hybride formé de tous ces éléments étrangers indé­si­ra­bles (fran­çais, turcs, malais, chi­nois) contre les­quels, au début de sa car­rière lit­té­raire, dans les Confessions de 1821, il avait établi le rem­part pres­crip­tif et nor­ma­tif de l’angli­cité dont il se reven­di­quait sur tous les plans (lit­té­raire, moral, intel­lec­tuel et phy­si­que) dans un contexte de guerre (napo­léo­nienne) et d’expan­sion colo­niale en Orient ? Je ten­te­rai d’appor­ter une réponse en me pen­chant sur les ori­gi­nes, les moda­li­tés et les consé­quen­ces de cette hybri­da­tion, m’appuyant sur un corpus incluant les Confessions of an English Opium-Eater (1821), « The Apparition of the Brocken », dans Suspiria de Profundis (1845), The English Mail-Coach (1849) et Autobiographic Sketches (1853)


Blossom Ngum Fondo : « Métaphores de la ‘Dualité’ : cons­truc­tion d’un double Héritage dans Abeng de Michelle Cliff »

A l’instar de la plu­part des œuvres lit­té­rai­res post­co­lo­nia­les, la lit­té­ra­ture des Caraïbes porte notam­ment sur la façon dont la colo­ni­sa­tion a affecté les vies des colo­ni­sés. Les Caraïbes se trou­vent dans une situa­tion excep­tion­nelle dans la mesure où ils sont phy­si­que­ment et psy­cho­lo­gi­que­ment au centre de deux mondes contra­dic­toi­res. L’écrivaine Jamaïcaine Michelle Cliff, dans son ouvrage Abeng, pré­sente le double héri­tage de ce peuple, en insis­tant notam­ment sur des per­son­na­ges issus à la fois des escla­ves et des maî­tres des escla­ves. Ainsi, elle use d’un ensem­ble de méta­pho­res pour illus­trer ce double héri­tage conflic­tuel des Caraïbes. La pré­sente étude se pro­pose de res­sor­tir ce riche réper­toire de méta­pho­res de la « dua­lité » dans Abeng, en mon­trant com­ment la tech­ni­que nar­ra­tive de l’auteur, la carac­té­ri­sa­tion, la dési­gna­tion des per­son­na­ges, le contexte, la sexua­lité et ses stra­té­gies des­crip­ti­ves contri­buent à démon­trer que le Caraïbéen est un citoyen à cheval entre deux mondes iné­vi­ta­bles qui doit, par consé­quent, porter le far­deau de ces deux mondes et se réconci­lier avec les mul­ti­ples conflits et dis­pa­ri­tés.


Jean-Michel Ganteau : « Mongrelization » et assi­mi­la­tion : ou com­ment angli­cité rime avec hybri­dité ».

Je me pro­pose de tra­vailler sur l’œuvre de Peter Acrkoyd, qui s’est lancé, dans une redé­fi­ni­tion cri­ti­que et polé­mi­que de la notion d’angli­cité au cours des trois der­niè­res décen­nies, défi­ni­tion qui se fonde sur une vision de la culture anglaise comme assi­mi­la­tion et stricte hybri­da­tion, selon le prin­cipe de la « mon­gre­li­za­tion » et de l’hybri­da­tion lin­guis­ti­que évoquée par la figure du « mony­po­ly­lin­guist ». Cette explo­ra­tion, qui fait de l’impu­reté l’une des figu­res les plus pro­duc­ti­ves, s’enra­cine chez Ackroyd dans une cons­cience de ce que T.S. Eliot a défini comme « metoi­kos » pour venir sub­ver­tir le canon de l’angli­cité et pro­po­ser un contre-canon en latence, soit nié, soit encore refoulé. Il cons­ti­tue le symp­tôme du trau­ma­tisme de la Réforme qui ne cesse de faire resur­gir dans le pré­sent cultu­rel les figu­res de l’autre reli­gieux (catho­li­que) et cultu­rel (la Méditerranée) sous une forme qui est moins celle de l’oppo­si­tion binaire que de la han­tise. En ins­tal­lant l’autre au cœur du même cultu­rel, c’est donc un repo­si­tion­ne­ment éthique d’une vision cultu­relle natio­nale qui est pro­posé. Je sou­haite me fonder sur divers textes d’Ackroyd : confé­rence, étude d’his­toire cultu­relle, romans.


Laure Gardelle : « Le rôle du genre gram­ma­ti­cal dans la repré­sen­ta­tion d’une iden­tité lin­guis­ti­que hybride »

Aux Etats-Unis, la guerre d’Indépendance a conduit à une recher­che de défi­ni­tion de l’iden­tité amé­ri­caine, notam­ment par le biais du lin­guis­ti­que. C’est ainsi que Noah Webster, prô­nant une langue qui reflè­te­rait « l’âme du peuple amé­ri­cain », édita le pre­mier dic­tion­naire amé­ri­cain, dans lequel il pro­po­sait de nom­breu­ses réfor­mes de l’ortho­gra­phe et de la gram­maire. La cons­truc­tion d’une iden­tité lin­guis­ti­que amé­ri­caine néces­si­tait à ses yeux une cer­taine prise de dis­tance par rap­port aux normes lin­guis­ti­ques exis­tan­tes, qu’il per­ce­vait comme un mélange hybride d’iden­tité bri­tan­ni­que et amé­ri­caine. Au cours du XIXe siècle et au début du XXe, de nom­breux auteurs pour­sui­vent cette quête d’une iden­tité lin­guis­ti­que amé­ri­caine, en repré­sen­tant dans leurs œuvres ce qu’ils consi­dè­rent comme le parler authen­ti­que du peuple. Cette fois, l’iden­tité lin­guis­ti­que amé­ri­caine est pré­sen­tée comme irré­duc­ti­ble­ment hybride : la langue stan­dard côtoie un anglais non stan­dard, dont les usages lin­guis­ti­ques sont par­fois dif­fé­rents, en par­ti­cu­lier dans ce qui a été nommé le Vieux Sud-Ouest. Les diver­gen­ces pho­né­ti­ques et lexi­ca­les ayant été lar­ge­ment docu­men­tées, on s’inté­resse ici à une mani­fes­ta­tion gram­ma­ti­cale de ces dif­fé­ren­ces d’usage, peu étudiée jusqu’à pré­sent : l’emploi des genres des pro­noms, plus spé­ci­fi­que­ment le recours plus fré­quent au fémi­nin en anglais non stan­dard. En s’appuyant en par­ti­cu­lier sur The Grapes of Wrath de Steinbeck, on cher­che à déter­mi­ner com­ment les emplois des genres contri­buent à la cons­truc­tion par l’auteur d’un dis­cours hybride.


Teresa Gibert : « Thomas King et les para­doxes de l’hybri­dité »

La posi­tion auto défi­nie de Thomas King entre deux pays et son appar­te­nance à plu­sieurs eth­nies lui valut une situa­tion pro­pice pour abor­der les para­doxes de l’hybri­dité et les dif­fi­cultés d’occu­per ce qu’il appelle « les zones d’ombre raciale ». Au cours de plu­sieurs inter­views, ainsi que dans son œuvre écrite, expli­ci­te­ment ou impli­ci­te­ment, il a révélé son atti­tude per­son­nelle à l’égard des Etats-Unis, son pays natal, et du Canada, le pays qu’il appelle depuis de lon­gues années sa patrie. King a également dis­serté sur ses ori­gi­nes mêlées et son désir de renouer avec son patri­moine indi­gène : « L’iden­tité grec­que était donnée, assu­mée. L’iden­tité indienne était le mys­tère, le soi inconnu » (1999). Par sur­croît, il a sou­vent abordé les ques­tions sen­si­bles de l’authen­ti­cité et de la légi­ti­mité de la part des sangs-mêlés dont le degré de « Indianness » est remis en cause en dépit de leur ferme déter­mi­na­tion à être perçus comme indi­gè­nes. Il consi­dère que les raci­nes sont, en quel­que sorte, ques­tion de choix. Il a expli­qué pour­quoi il a pris ses dis­tan­ces par rap­port aux Cherokee de Oklahoma avec les­quels il a des liens de famille, et res­sent une plus grande affi­nité pour les Blackfoot, qui cons­ti­tuent la source prin­ci­pale de maté­riaux qui char­pen­tent la com­po­sante réa­liste de ses romans et nou­vel­les.


Lise Guilhamon : « La langue ‘made as India’ de Salman Rushdie : entre hété­ro­gé­néité lin­guis­ti­que et hybri­dité poé­ti­que »

Le style exu­bé­rant, foi­son­nant et pro­li­fé­rant de Salman Rushdie a sou­vent conduit les cri­ti­ques à célé­brer l’hybri­dité de son « Masala English » qui mâtine l’anglais d’une foule de locu­tions hindi ou anglo-indien­nes, d’hapax et de solé­cis­mes qui défor­ment et dépla­cent l’anglais, pour mieux l’india­ni­ser. La notion d’« hybri­dité » a ainsi sou­vent été invo­quée par des pen­seurs post­co­lo­niaux pour évoquer les croi­se­ments lin­guis­ti­ques opérés dans Midnight’s Children, The Satanic Verses et The Moor’s Last Sigh, par exem­ple, mais ces pro­cé­dés sont-ils vrai­ment entiè­re­ment régis par un pro­ces­sus d’hybri­da­tion de la langue au sens où l’entend Homi Bhabha, c’est-à-dire une fer­ti­li­sa­tion poé­ti­que inter­lin­guis­ti­que ? On peut se deman­der si bien sou­vent, les croi­se­ments lin­guis­ti­ques ainsi décrits ne relè­vent pas plus d’une simple hété­ro­gé­néité de la langue, de la coha­bi­ta­tion, au sein d’un même texte, de plu­sieurs idio­mes, lan­gues et idio­lec­tes, plutôt que d’une véri­ta­ble « hybri­dité ». Il s’agira donc d’étudier en quoi la langue « made as India » (Midnight’s Children) de Salman Rushdie s’appuie effec­ti­ve­ment sur le mul­ti­lin­guisme, mais sur­tout afin d’opérer une véri­ta­ble méta­mor­phose de la langue à tra­vers un pro­ces­sus qui est avant tout d’ordre poé­ti­que.


Christian Gutleben : « Quand l’hybri­dité devient oxy­more : une inter­pré­ta­tion de la nature duelle de la fic­tion néo-vic­to­rienne »

Au cours de cette réflexion, j’aime­rais consi­dé­rer la fic­tion néo-vic­to­rienne comme une illus­tra­tion du post­mo­der­nisme qui pro­cède à une hybri­da­tion sys­té­ma­ti­que entre les tra­di­tions, les genres et les œuvres du passé et une pers­pec­tive esthé­ti­que et idéo­lo­gi­que du pré­sent. En pre­nant comme point de départ la théo­rie de Charles Jencks qui défi­nit le post­mo­der­nisme comme “double coding – the com­bi­na­tion of modern tech­ni­ques with some­thing else” (1986, 10), je veux envi­sa­ger le néo-vic­to­ria­nisme comme une forme de ce double enco­dage qui croise le vic­to­rien et le moderne pour géné­rer une espèce roma­nes­que nou­velle et essen­tiel­le­ment hybride. En ten­tant d’asso­cier le neuf et l’ancien, d’entre­mê­ler les tra­di­tions oppo­sées du moder­nisme et du vic­to­ria­nisme et de sou­li­gner simul­ta­né­ment l’incré­du­lité et la foi, le fami­lier et l’étranger, le même et l’autre, la fic­tion néo-vic­to­rienne trans­forme son hybri­dité en oxy­more. Or, l’oxy­more n’est pas que la com­bi­nai­son de deux concepts opposé, c’est aussi une nou­velle syn­thèse et, de fait, la fic­tion néo-vic­to­rienne pro­duit des syn­thè­ses inat­ten­dues et régé­né­ra­tri­ces dans le domaine esthé­ti­que. Pourtant, jux­ta­po­ser des idées contrai­res peut aussi créer des ambi­guï­tés idéo­lo­gi­ques : com­ment la fic­tion néo-vic­to­rienne peut-elle être à la fois conser­va­trice et sub­ver­sive ? Qu’est-ce que cela dire de pro­cé­der dans le même temps à une opé­ra­tion de mytho­lo­gi­sa­tion et de démy­tho­lo­gi­sa­tion ? Interpréter les ambi­guï­tés idéo­lo­gi­ques qui décou­lent de l’hybri­dité oxy­mo­ri­que de la fic­tion néo-vic­to­rienne sera l’objec­tif de cette com­mu­ni­ca­tion.


John Hutnyk : “Creativity across bor­ders”

Tant a été dit sur l’hybri­dité qu’il reste peu de choses à ajou­ter. Sauf que l’hybri­dité est sans doute plus pro­pice quand elle est en addi­tion cons­tante. Ce débat s’adresse au destin du terme quand il ren­contre les poli­ti­ques d’un fes­ti­val inter­na­tio­nal de musi­que dédié à la créa­ti­vité sans fron­tiè­res. Un fes­ti­val qui, expli­ci­te­ment et impli­ci­te­ment, et par­fois de façon ambi­va­lente, lance un défi à l’iden­tité sim­pli­fiée, qui s’engage à mêler le mélo­dieux juke-box mon­dial avec les ryth­mes dis­cor­dants du sweat­box mon­dial. La com­mer­cia­li­sa­tion et l’opé­ra­tion­na­li­sa­tion de la « culture » sont cri­ti­quées, mais « Clandestino ! » reste l’un des fes­ti­vals les plus inté­res­sants du cir­cuit. La par­ti­ci­pa­tion en tant qu’orga­ni­sa­trice/orga­ni­sa­teur et invité(e) offre dif­fé­ren­tes façons d’envi­sa­ger les com­plexi­tés de la per­for­mance publi­que – et une théo­ri­sa­tion qui reste par­fois un peu en retrait de la pra­ti­que et de l’enga­ge­ment de ceux qui ont été plus récem­ment « ajou­tés » à la liste des créa­tifs. Une fois de plus, je vais pren­dre le risque de voir si l’on peut encore dire quel­que chose à propos de l’hybri­dité.


Madhu Krishnan : « L’hybri­dité nar­ra­tive et le dyna­misme du post­co­lo­nial dans GraceLand de Chris Abani »

Cette com­mu­ni­ca­tion exa­mi­nera les mani­fes­ta­tions de l’hybri­dité dans la struc­ture nar­ra­tive en consi­dé­rant le cas du roman GraceLand de Chris Abani. Tout au long du récit, GraceLand fusionne des éléments de la tra­di­tion mythico-reli­gieuse Igbo avec des éléments de culture popu­laire amé­ri­caine et de la mytho­lo­gie contem­po­raine du rêve amé­ri­cain. Plutôt que pri­vi­lé­gier l’un ou l’autre cadre, GraceLand exploite sa struc­ture nar­ra­tive pour mettre en évidence l’hybri­dité de l’iden­tité post­co­lo­niale, tout en remet­tant en cause la légi­ti­mité des concep­tions puris­tes de la tra­di­tion cultu­relle et du pro­grès natio­nal. Comme tous les récits de la troi­sième géné­ra­tion de la lit­té­ra­ture nigé­rienne, le roman d’Abani conteste les concep­tions fos­si­li­sées de l’indi­vidu et de la société par son uti­li­sa­tion assu­mée du mélange concep­tuel, des récits dou­bles et des mytho­lo­gies hybri­dées, reven­di­quant fina­le­ment le dyna­misme des exis­ten­ces post­co­lo­nia­les et affir­mant la néces­sité de l’hybri­da­tion comme moyen judi­cieux et équilibré d’ima­gi­ner le conti­nent afri­cain et ses nations.


Joel Kuortti« L’hybri­dité comme ‘mala­die’ dans L’Enchanteresse de Florence de Salman Rushdie »

L’une des carac­té­ris­ti­ques les plus frap­pan­tes et les plus sys­té­ma­ti­ques de l’œuvre de Salman Rushdie est le refus caté­go­ri­que des sin­gu­la­ri­tés, des iden­ti­fi­ca­tions sta­bles ou des repré­sen­ta­tions mono­lo­gi­ques. Au lieu de cela, les ques­tions esthé­ti­ques, éthiques et poli­ti­ques trou­vent leur force dans et par la plu­ra­lité ima­gi­na­tive, les for­ma­tions hybri­des et le dia­lo­gue hété­ro­gène. Que ce soit dans la confé­rence des enfants du minuit, la cham­bre de la pierre noire, ou l’océan des his­toi­res, la mul­ti­pli­cité est pré­fé­rée à la simi­li­tude, le récit pré­féré à l’his­toire. Dans L’Enchanteresse de Florence (2008), Rushdie joue avec l’his­toire et fait se ren­contrer l’Europe et l’Inde Mongole de façon ima­gi­naire par le biais du voyage du pro­ta­go­niste Niccolò Vespucci. Dans ma com­mu­ni­ca­tion, j’exa­mine la façon dont l’entrée de Vespucci à la cour d’Akbar dés­ta­bi­lise les iden­ti­fi­ca­tions com­mu­né­ment accep­tées et teinte peut-être d’hybri­dité les his­toi­res connues de l’Europe et de l’Inde. Pour ce faire, je pars de l’idée que le mul­ti­lin­guisme et le mul­ti­cultu­ra­lisme de Vespucci – « il pou­vait rêver dans sept lan­gues » (p. 10) – mena­cent l’iden­tité ou bien offrent une pos­si­bi­lité de la redé­fi­nir. Ce qui sug­gère que la ques­tion n’est pas sans sou­le­ver des pro­blè­mes est son rap­port avec ces lan­gues iden­ti­fi­ca­toi­res : « Il attra­pait les lan­gues comme les marins attra­pent les mala­dies » (ibid.). Quel genre de « mala­die » l’hybri­dité cons­ti­tue-t-elle alors ?


Florence Labaune-Demeule : « L’hybri­dité revi­si­tée : Mistress d’Anita Nair »

Lorsque Christopher Stewart, jeune jour­na­liste et musi­cien occi­den­tal, se rend en Inde pour ren­contrer le chan­tre du katha­kali, Koman, il place l’hybri­dité au centre de ce qui s’avère sa propre quête des ori­gi­nes : il veut savoir si le vieil homme pour­rait être son père, et si lui-même pour­rait être le fruit de l’union mixte entre le dan­seur de katha­kali et sa mère anglaise. Cette intro­duc­tion de la thé­ma­ti­que de l’hybri­dité « géné­ti­que » s’insi­nue gra­duel­le­ment au cœur même de l’his­toire d’amour qui se tisse entre Chris et Radha, la nièce de Koman, épouse insa­tis­faite de Shyam. Le roman se ter­mine en effet sur l’annonce de la nais­sance pro­chaine d’un enfant issu de la rela­tion adul­té­rine entre ces repré­sen­tants de cultu­res oppo­sées — l’orient et l’occi­dent, Chris et Radha. Mais l’hybri­dité cultu­relle est aussi au centre de toutes les préoc­cu­pa­tions : tous les per­son­na­ges —prin­ci­paux ou secondai­res — sont tiraillés entre une volonté d’authen­ti­cité et un désir de par­tage et de recher­che de l’alté­rité, à l’instar de la quête de per­fec­tion de Koman à tra­vers l’art du katha­kali et son sou­hait conjoint de faire connaî­tre cet art en Occident pour deve­nir un artiste adulé du public. Le roman met en scène la confron­ta­tion des notions d’iden­tité et d’alté­rité à tra­vers la recher­che d’une « hybri­dité », d’une posi­tion d’entre-deux, qui s’avère dif­fi­cile à attein­dre autre­ment que dans un équilibre ins­ta­ble qui per­ver­tit l’émotion esthé­ti­que pre­mière. Pourtant, c’est par la nar­ra­tion qu’Anita Nair par­vient à créer ce que l’on peut vrai­ment appe­ler une esthé­ti­que de l’hybri­dité : en appuyant la struc­tu­ra­tion de l’œuvre sur les neufs rasas du katha­kali et en recou­rant au genre roma­nes­que carac­té­ris­ti­que de l’Occident, A. Nair cons­truit un katha­kali verbal auquel elle initie le lec­teur pas à pas, condui­sant ce der­nier dans une danse émotionnelle où se mêlent vio­lon­celle et chenda. Cette com­mu­ni­ca­tion se pro­pose donc de trai­ter de l’hybri­dité « géné­ti­que », puis de l’hybri­dité sociale et cultu­relle, avant de déve­lop­per la pro­blé­ma­ti­que de l’hybri­dité nar­ra­tive.


Monica Latham : « Apporter de la nou­veauté au monde : “la ver­sion paci­fi­que de Great Expectations” de Lloyd Jones »

Dans Mister Pip, Lloyd Jones nous offre un dia­lo­gue avec Great Expectations de Charles Dickens, hypo­texte qui devient la toile de fond du roman de Jones. L’auteur trans­pose le roman de son pré­dé­ces­seur dans un contexte cultu­rel com­plè­te­ment dif­fé­rent, au Bougainville, en Papouasie-Nouvelle-Guinée, au 20e siècle. Mr Watts, le seul blanc qui choi­sit de rester sur l’île pen­dant la guerre civile, s’auto­pro­clame pro­fes­seur et com­mence à lire des cha­pi­tres de Great Expectations dans ses cours. Il donne à ses élèves « un autre bout du monde » afin qu’ils oublient les atro­ci­tés qui les entou­rent. Les vil­la­geois pren­nent également la parole en classe et par­ta­gent leurs pro­pres his­toi­res : le roman vic­to­rien entre ainsi en concur­rence avec les his­toi­res orales, per­son­nel­les ou mythi­ques des natifs. Finalement, tout fusionne dans l’his­toire de la vie de Mr Watts qu’il raconte aux rebel­les. Le fait d’impo­ser une his­toire étrangère dans une autre culture peut être consi­déré comme un pro­ces­sus de colo­ni­sa­tion ; d’un autre côté, mettre une empreinte autoch­tone sur un texte cano­ni­que impli­que une riposte lit­té­raire afin de célé­brer « l’hybri­dité, l’impu­reté, le bras­sage », « des nou­vel­les com­bi­nai­sons inat­ten­dues d’humains, cultu­res et idées » (Rushdie) et d’appor­ter de la « nou­veauté » au vieux monde.


Claude Le Fustec : « Le réa­lisme magi­que : écriture de l’hybri­dité, écriture de l’Autre »

Puisant sa défi­ni­tion dans la conjonc­tion de deux visions du monde ordi­nai­re­ment (selon des para­dig­mes occi­den­taux) tenues pour anti­thé­ti­ques, le réa­lisme magi­que s’impose comme mode nar­ra­tif pri­vi­lé­gié d’un ima­gi­naire marqué par l’hybri­dité. Aussi bien sa for­tune en connaît-elle les aléas : alter­na­ti­ve­ment prôné, au nom d’un métis­sage cultu­rel célé­bré au milieu du XXès. par l’un de ses prin­ci­paux théo­ri­ciens, l’écrivain cubain Alejo Carpentier, et aujourd’hui renié par de nom­breux auteurs -que la cri­ti­que vou­drait réa­lis­tes magi­ques- pour le ratio­na­lisme occi­den­tal qui sous-tend le concept, ce mode d’écriture cris­tal­lise des enjeux de pou­voir et pose de nom­breu­ses ques­tions. Fondamentalement hybride, il pose tout d’abord celle des limi­tes de sa défi­ni­tion : proche de pra­ti­ques d’écriture diver­se­ment qua­li­fiées de « fan­tas­ti­ques », « mer­veilleu­ses » voire rele­vant de la science fic­tion, il ques­tionne la notion de genre en ce qu’elle sup­pose de fixité et de pureté ; concept cri­ti­que, il révèle le fossé pou­vant sépa­rer théo­rie et pra­ti­que lit­té­raire ; forme artis­ti­que ini­tia­le­ment reconnue dans la pein­ture alle­mande puis appli­quée à la lit­té­ra­ture latino-amé­ri­caine, il est aujourd’hui l’une des pra­ti­ques d’écriture les plus répan­dues, témoi­gnant sans conteste d’une logi­que de glo­ba­li­sa­tion par laquelle le « centre » pour­rait paraî­tre s’appro­prier la « marge » en fai­sant d’un mode d’écriture asso­cié à un contexte post­co­lo­nial une nou­velle « norme ». Toutefois, au-delà de l’impasse où mènent ces consi­dé­ra­tions quant aux rap­ports de force cultu­rels impli­qués, ce tra­vail pro­pose de mettre l’accent sur le poten­tiel de créa­ti­vité que recè­lent le concept et la pra­ti­que réa­liste magi­que. Partant d’auteurs afro-amé­ri­cains contem­po­rains, il s’agira d’ana­ly­ser la dimen­sion réa­liste magi­que de leur tech­ni­que afin d’en mesu­rer le véri­ta­ble enjeu : un décloi­son­ne­ment de la cons­cience, pro­dui­sant, selon les termes de Wendy B. Faris, un « ré-enchan­te­ment de la réa­lité ordi­naire » par un retour du sacré dans un occi­dent post­mo­derne et laïc en perte de sens. Ce fai­sant, le mode réa­liste magi­que démon­tre son effi­cience poli­ti­que puisqu’il opère moins une poro­sité du sens, qui se per­drait dans les sables faute d’un enclos rigide en déli­mi­tant les contours, qu’une ouver­ture de la cons­cience à dif­fé­rents niveaux d’appré­hen­sion du réel sup­po­sant l’accep­ta­tion de l’Autre (entendu en un sens pro­fane et sacré) comme dimen­sion de ce réel.


Deborah Madsen : « Hybridité, iden­ti­tés à trait d’union et iden­ti­tés mêlées »

En 1993, le maga­zine Time publiait ce qu’il appe­lait « Le nou­veau visage de l’Amérique », image créée par ordi­na­teur d’un indi­vidu aux mul­ti­ples ori­gi­nes eth­ni­ques, suite à des décen­nies d’immi­gra­tion et de maria­ges mixtes. Ce même numéro com­pre­nait aussi des récits tels que « Le vil­lage mon­dial devient réa­lité » ou « Mariages mixtes…avec enfants ». Cette ques­tion de l’hybri­dité a aussi été abor­dée par Kip Fulbeck dans son « Projet Hapa », ras­sem­blant des photos et des­crip­tions auto­bio­gra­phi­ques de per­son­nes aux ori­gi­nes eth­ni­ques mul­ti­ples. Malgré cette atten­tion de la part des medias de large dif­fu­sion autant que des publi­ca­tions uni­ver­si­tai­res, la struc­ture eth­ni­que des États-Unis conti­nue d’être pensée selon un modèle que je qua­li­fie­rai de « mono-hyphe­na­tion » (« à trait d’union unique »). Le pro­ces­sus d’hybri­da­tion ou d’« Américanisation » appa­raît rhé­to­ri­que­ment comme fai­sant partie inté­grante de l’expé­rience de migra­tion chaque fois qu’on dési­gne un indi­vidu comme « Asiatique-Américain » ou « Irlando-Américain » ou même « Africain-Américain ». Pourtant, les indi­vi­dus, tels que les Hapas pho­to­gra­phiés par Fulbeck, se défi­nis­sent eux même de plus en plus comme, par exem­ple, « Asiatique-Irlando-Africain-Américains », selon un pro­ces­sus qu’on pourra qua­li­fer non de mono- mais de « multi-hyphe­na­tion ». Je vou­drais donc poser la ques­tion sui­vante : pour­quoi l’ins­ti­tu­tion des études lit­té­rai­res conti­nue-t-elle de mettre en avant une concep­tion chaque jour un peu plus cadu­que d’iden­ti­tés eth­ni­ques « à trait d’union unique », en dépit de phé­no­mè­nes d’immi­gra­tion de grande ampleur ? Et com­ment peut-on faire échec à la ten­dance conser­va­trice à pré­fé­rer des iden­ti­tés eth­ni­ques sim­pli­fiées plutôt que reconnues dans toute leur com­plexité ? Est-il pos­si­ble d’ima­gi­ner des coa­li­tions cultu­rel­les pan-eth­ni­ques ? Dans quelle mesure un tel modèle pour­rait-il donner forme à un champ des Études amé­ri­cai­nes repensé comme fon­da­men­ta­le­ment trans­na­tio­nal, post-eth­ni­que et hémi­sphé­ri­que ?


Sarga Moussa : « Hybridités ima­gi­nai­res. Croisements de cultu­res, de lan­gues et de reli­gions dans Les Orientales »

Sans avoir jamais tra­versé la Méditerranée, Hugo a rêvé tout à la fois l’« Orient » (essen­tiel­le­ment ce que l’on appel­le­rait aujourd’hui le Proche-Orient, mais aussi un Orient lar­ge­ment ima­gi­naire, issu notam­ment des Mille et une Nuits), et une nou­velle rela­tion entre l’Orient et l’Occident. Déplaçant les fron­tiè­res et opé­rant de nom­breux décen­tre­ments, y com­pris énonciatifs, le poète oblige ses lec­teurs, dès 1829, à repen­ser leur propre iden­tité, en sug­gé­rant le carac­tère dyna­mi­que (ou, si l’on pré­fère, plu­riel) de celle-ci. À tra­vers des poèmes comme « La cap­tive » ou « Adieux de l’hôtesse arabe », Hugo met en scène une séduc­tion réci­pro­que, bien que pro­blé­ma­ti­que, entre deux espa­ces cultu­rels censés être oppo­sés, l’Orient et l’Occident. La ques­tion des lan­gues est également cen­trale dans Les Orientales, truf­fées de mots étrangers et de ryhmes orien­ta­li­sants, dans un geste de défi roman­ti­que face à l’esthé­ti­que clas­si­que. Enfin, les rap­ports entre islam et chris­tia­nisme, qui han­tent nombre d’écrivains du XIXe siècle depuis Chateaubriand, font chez Hugo l’objet d’une réé­va­lua­tion, au fur et à mesure qu’on avance dans la lec­ture de son recueil : si « Voile » (XI) met en scène un islam noir, encore très marqué par la concep­tion du « des­po­tisme orien­tal » véhi­cu­lée par les Lumières, « Sultan Achmet » (XXIX), inclus signi­fi­ca­ti­ve­ment dans le cycle espa­gnol des Orientales (l’Espagne, dès la pré­face, cons­ti­tue un espace de l’entre-deux), permet de penser une réconci­lia­tion reli­gieuse, via l’amour d’un musul­man pour une chré­tienne – moyen­nant, il est vrai, une conver­sion du pre­mier. Au fond, Hugo ne cher­che pas à annu­ler les dif­fé­ren­ces, il en joue plutôt pour mon­trer que l’« Orient » est en nous. À ce titre, la notion d’hybri­dité déve­lop­pée dans les études post­co­lo­nia­les peut nous aider à per­ce­voir l’extrême moder­nité d’un recueil comme Les Orientales, long­temps réduit, bien à tort, à l’illus­tra­tion d’un exo­tisme facile et à la mode.


Jopi Nyman (University of Eastern Finland) : “A Carvery of Hybridity : Monica Ali’s In the Kitchen”

Le but de cette pré­sen­ta­tion est d’exa­mi­ner le rôle de l’hybri­dité dans le roman In the Kitchen (2009) de Monica Ali, auteure bri­tan­ni­que d’ori­gine asia­ti­que. La thèse défen­due est que le roman est un exem­ple sup­plé­men­taire de la volonté d’hybri­der la bri­tan­ni­cité et les iden­ti­tés bri­tan­ni­ques dans le/les contexte(s) de mon­dia­li­sa­tion qui carac­té­rise(nt) le tra­vail lit­té­raire de Monica Ali. Alors que Brick Lane (2003) ouvre des espa­ces hybri­des dans l’est lon­do­nien et que Alentejo Blue (2006) explore les iden­ti­tés bri­tan­ni­ques dans un contexte sud-euro­péen, In the Kitchen ima­gine une Grande-Bretagne en trans­for­ma­tion, tou­chée par les flux mon­diaux contem­po­rains et des acteurs tels que les mul­ti­na­tio­na­les, le trafic humain ou la main d’œuvre immi­grée clan­des­tine. Les deux décors du roman, la cui­sine mul­ti­cu­tu­relle du London Imperial Hotel et la ville natale du chef/per­son­nage prin­ci­pal située dans le Lancashire pos­tin­dus­triel, jouent un rôle cen­tral dans la for­ma­tion d’un nou­veau sens hybride de la bri­tan­ni­cité. Bien que le roman révèle le contraste entre la vita­lité de la métro­pole mul­tieth­ni­que, une zone de contact dont le res­tau­rant est le micro­cosme, et le régio­na­lisme et le tra­di­tio­na­lisme qui sont asso­ciés au Nord, ni l’un ni l’autre de ces endroits n’est com­plè­te­ment pri­vi­lé­gié ou glo­ri­fié. En consé­quence, le roman hybride la bri­tan­ni­cité en contes­tant toute ten­ta­tive de défi­nir celle-ci selon des divi­sions binai­res inter­nes et en la pla­çant dans un contexte trans­na­tio­nal et mon­dial.


Daniel-Henri Pageaux : « Une alter­na­tive cri­ti­que à l’hybri­dité post­co­lo­niale : le néo-baro­que (Littératures his­pano-amé­ri­cai­nes et antillai­ses) »

Dans les pers­pec­ti­ves pro­po­sées par l’argu­men­taire du col­lo­que, il nous a semblé oppor­tun d’offrir un autre cadre notion­nel à la notion d’hybri­dité, asso­ciée assez fré­quem­ment à la cri­ti­que « post­co­lo­nia­liste ». A partir de textes de roman­ciers tels qu’Alejo Carpentier et Severo Sarduy et de notions ori­gi­na­les, telles que trans­cultu­ra­ción, real mara­villoso, mes­ti­zaje cultu­ral, baro­que et néo-baro­que, on peut esquis­ser d’autres appro­ches, d’autres lec­tu­res de la pro­duc­tion fran­co­phone aux Antilles. Ces notions se retrou­vent par exem­ple chez Edouard Glissant et elles per­met­tent d’élaborer une voie cri­ti­que qui cerne et expli­que ces nou­vel­les poé­ti­ques roma­nes­ques, en par­ti­cu­lier la « Créolité ». S’il s’agit en effet de pro­po­ser des caté­go­ries esthé­ti­ques ou même d’appli­quer cer­tai­nes notions ou traits géné­ri­ques (fea­tu­res) à des pro­duc­tions lit­té­rai­res (comme c’est le cas avec le « post­co­lo­nia­lisme »), le néo-baro­que peut offrir non seu­le­ment une appro­che inté­res­sante et féconde, mais une alter­na­tive cri­ti­que qui a son inté­rêt, mais aussi ses limi­tes.


Yolaine Parisot : « L’hybri­dité, un obs­ta­cle au com­pa­ra­tisme post­co­lo­nial ? L’exem­ple de la Caraïbe et de l’océan Indien »

Espaces créo­les, créo­li­sés, créo­lo­pho­nes, mar­qués tant par les mémoi­res de l’escla­vage et de l’enga­gisme que par un ima­gi­naire dia­spo­ri­que, véri­ta­bles labo­ra­toi­res du plu­ri­lin­guisme, zones d’échanges entre des nations post­co­lo­nia­les et des ter­ri­toi­res en dépen­dance admi­nis­tra­tive, l’archi­pel cari­béen et l’océan Indien invi­tent à la com­pa­rai­son de leurs lit­té­ra­tu­res. L’effet trompe-l’œil de la scène média­ti­que inter­na­tio­nale occulte sou­vent les dif­fé­ren­ces his­to­ri­ques, cultu­rel­les et esthé­ti­ques pour ren­voyer dos à dos créo­lie et créo­lité, india­nité et coo­li­tude et pour pri­vi­lé­gier le concept d’hybri­dité comme modèle englo­bant. Mais, de manière symp­to­ma­ti­que, The Location of culture d’Homi K. Bhabha s’appuie sur tout un hypo­texte cari­béen, qu’il s’agisse des tra­vaux de Stuart Hall, des essais de Wilson Harris et de Frantz Fanon ou des romans de V. S. Naipaul. Et si la défi­ni­tion du « cos­mo­po­li­tisme ver­na­cu­laire » pro­cède de l’inté­rêt du théo­ri­cien d’ori­gine indienne pour l’expé­rience indo-cari­béenne, parmi les ava­tars de l’hybri­dité post­co­lo­niale, ce sont bien le réa­lisme mer­veilleux d’Alejo Carpentier et de Jacques Stephen Alexis, la créo­li­sa­tion d’Edward Kamau Brathwaite et d’Édouard Glissant, la « lit­té­ra­ture-monde » d’un mani­feste que seuls deux écrivains de l’océan Indien signè­rent, qui s’impo­sent au cri­ti­que et que le cri­ti­que impose, par une forme de vio­lence épistémologique, au corpus india­no­céa­ni­que. Interroger le concept d’hybri­dité post­co­lo­niale à partir de la Caraïbe et de l’océan Indien, c’est donc à la fois évoquer une com­mune contri­bu­tion à son émergence et une néces­saire dif­fé­ren­cia­tion dans son deve­nir.


Sneharika Roy : « L’ ‘hybri­di­sa­tion’ d’Homère : un exem­ple de gène et de genre épiques dans Omeros de Derek Walcott »

Le mot « hybri­dité », de fait de ses conno­ta­tions bio­lo­gi­ques ren­voie géné­ra­le­ment à l’idée d’une féconda­tion résul­tant d’un croi­se­ment de races. Ce terme est fré­quem­ment uti­lisé en tant qu’outil concep­tuel dans le cadre de la théo­rie post­co­lo­niale. L’œuvre de Derek Walcott, qui se situe à la confluence de la culture cari­béenne, elle-même déjà hybride, et de la poé­ti­que occi­den­tale, en est un cas exem­plaire. Or, en insis­tant sur ce bras­sage cultu­rel qui imprè­gne son œuvre, les cri­ti­ques ont ten­dance à négli­ger son ori­gi­na­lité géné­ri­que et inter­tex­tuelle, notam­ment dans Omeros, son œuvre néo-épique. L’idée de mélange géné­ti­que, déjà inhé­rente au mot l’hybri­dité, s’avère par­ti­cu­liè­re­ment per­ti­nente lors­que l’on étudie Omeros. Les généa­lo­gies épiques des guer­riers nobles y cèdent la place à une généa­lo­gie poé­ti­que variée qui s’exprime à tra­vers les mul­ti­ples mani­fes­ta­tions de la figure d’Homère dont : le per­son­nage grec éponyme nommé Omeros, un pêcheur nommé Seven Seas, et le masque poé­ti­que de Walcott qui s’auto­pro­clame une sorte d’Homère hybride. En outre, un fort élément visuel res­sort à tra­vers l’allu­sion à l’artiste amé­ri­cain Winslow Homer et à la voix qui s’échappe du « vase de la gorge d’une fille ». Le prin­cipe opé­ra­tif de l’hybri­dité qui est à l’œuvre ici, est fondé sur l’inte­rac­tion entre la forme épique et les figu­res bar­di­ques, entre la matrice géné­ti­que et géné­ri­que. Ainsi, en jouant sur des notions de l’influence, de l’auteur et de l’ (af)filia­tion, Walcott greffe-t-il la tra­di­tion épique sur un contexte à la fois cari­béenne et inter­na­tio­nal.


Ebrahim Salimikouchi : « Polyphonie de l’écriture du ‘moi’ hybride dans l’œuvre auto­bio­gra­phi­que d’Assia Djebar »

L’écriture d’Assia Djebar – qui appar­tient à une pre­mière géné­ra­tion d’écrivains fon­da­teurs d’une lit­té­ra­ture algé­rienne de langue fran­çaise – se situe dans un contexte cultu­rel hybride. Son écriture oscille entre la culture fran­çaise, dans laquelle sont ancrées l’éducation, la for­ma­tion et l’intel­lec­tua­lité de l’auteur et la culture arabo-musul­mane que Djebar qua­li­fie de « culture de sa sen­si­bi­lité » (Djebar 1999, 26). À la lumière des études post­co­lo­nia­les sur ce trait dis­tinc­tif de la moder­nité lit­té­raire qu’est l’hybri­dité, notre recher­che se pro­pose d’explo­rer l’œuvre auto­bio­gra­phi­que d’Assia Djebar pour trai­ter son écriture du « moi » hybride. En se concen­trant notam­ment sur L’amour, la fan­ta­sia (1985) et Vaste est la prison (1995), notre étude du niveau thé­ma­ti­que et sty­lis­ti­que ana­ly­sera la struc­ture tex­tuelle et contex­tuelle de la cons­truc­tion iden­ti­taire du « moi » hybride de Djebar, pour attes­ter sa dimen­sion poly­pho­ni­que, huma­ni­sante, démo­cra­ti­que et dia­lo­gi­que dans un monde glo­ba­lisé où les chocs cultu­rels se mul­ti­plient et où une telle lit­té­ra­ture comp­te­rait parmi les der­niè­res chan­ces de res­pect, de coexis­tence et de dia­lo­gue.


Michaël Taugis : « Aller et retour : voya­ges et métis­sa­ges dans The Russian Debutante’s Handbook de Gary Shteyngart »

Le par­cours roma­nes­que du per­son­nage prin­ci­pal, Vladimir Girshkin, Juif russo-amé­ri­cain né à Leningrad en 1968, s’arti­cule prin­ci­pa­le­ment autour de deux voya­ges : le pre­mier est un aller simple et un sou­ve­nir, celui de son émigration aux USA en 1980, et le second est un aller-retour en 1993 : de New York à la fille fic­tive de Prava en Europe cen­trale, dans l’ex-bloc sovié­ti­que, puis de Prava à la ban­lieue de Cleveland, Ohio où il s’établit avec une Américaine qu’il a ren­contrée à Prava. Ma com­mu­ni­ca­tion mon­trera que ces voya­ges engen­drent et révè­lent diver­ses formes de métis­sa­ges au gré des ambi­tions, désirs et ren­contres de Vladimir. Car ces voya­ges se révè­lent être, pour repren­dre l’expres­sion de René Depestre, un « métier à métis­ser » qui, par un mou­ve­ment de va-et-vient entre les ter­ri­toi­res et les cultu­res, tisse des liens entre des êtres et entre des formes de vie par­fois si dif­fé­rents qu’ils sem­blent incom­pa­ti­bles. La mémoire de Vladimir est une des prin­ci­pa­les navet­tes de ce métier à métis­ser, navette qu’on voit courir entre son enfance sovié­ti­que et son ado­les­cence amé­ri­caine, et plus géné­ra­le­ment entre le passé et le pré­sent, car chaque sou­ve­nir est expli­ci­te­ment ou impli­ci­te­ment un éclairage du pré­sent, une manière par­ti­cu­lière de décrire, de consi­dé­rer, ou de com­pren­dre ce pré­sent. Cette mémoire métisse sug­gère que le métis­sage est non seu­le­ment une situa­tion de fait (pour cet immi­gré russe) mais aussi un cata­ly­seur et sur­tout une arme, une stra­té­gie de survie, ainsi qu’un ins­tru­ment de sub­ver­sion et de détour­ne­ment.


Nicole Terrien : « De l’inter­tex­tua­lité à l’hybri­dité : quel outil pour rendre compte du roman néo-vic­to­rien ? »

La notion d’hybri­dité semble par­ti­cu­liè­re­ment adap­tée à l’étude du roman néo-vic­to­rien, genre repo­sant sur le croi­se­ment entre deux époques, entre divers modes d’écriture. Posons Wide Sargasso Sea de Jean Rhys (1966) et The French Lieutenant’s Woman de Fowles (1969) comme romans fon­da­teurs – ce qu’il n’était pas encore convenu d’appe­ler le roman néo-vic­to­rien, à l’ori­gine, inté­res­sait les cri­ti­ques pour son ancrage dans une inter­tex­tua­lité reven­di­quée. Mais le risque d’avoir, en qua­rante ans, épuisé l’examen des réfé­ren­ces expli­ci­tes sans avoir cir­cons­crit l’inté­rêt du pro­ces­sus, nous invite à chan­ger d’opti­que. La per­sis­tance de ce qui ne peut se réduire à un effet de mode nous incite à pren­dre en consi­dé­ra­tion la cons­truc­tion réa­li­sée plus que les maté­riaux uti­li­sés, à nous inter­ro­ger sur le carac­tère vivant du phé­no­mène. L’hybri­dité per­met­trait ainsi de ne pas se lais­ser médu­ser par un regard rétros­pec­tif, mis en scène par les auteurs eux-mêmes, sans doute pour atté­nuer le choc d’une confron­ta­tion pros­pec­tive poten­tiel­le­ment sub­ver­sive. Nous nous inter­ro­ge­rons sur le rôle de l’archi­texte-roi, en accep­tant dans un pre­mier temps de consi­dé­rer l’hom­mage au grand-texte que semble cons­ti­tuer la réfé­rence expli­cite. Nous ver­rons que si cet hom­mage engage la res­pon­sa­bi­lité du lec­teur dans l’inter­pré­ta­tion de l’oeuvre ouverte, sans cesse réac­tua­li­sée, il s’ouvre également à la reconnais­sance de textes tombés dans l’oubli. C’est un passé réin­venté plus qu’un temps retrouvé que nous donne à lire le roman néo-vic­to­rien. Il pose la fic­tion comme réa­lité de réfé­rence dans l’appré­hen­sion de ce passé. Nous invi­tant à inter­ro­ger les codes de repré­sen­ta­tion, cet exil tem­po­rel nous permet de forger notre cons­cience cultu­relle pour repren­dre les termes de Joyce (« to forge in the smithy of my soul, the uncrea­ted cons­cience of my race »). Devant des enjeux aussi vitaux, la notion d’hybri­dité se pré­sente comme féconde. Sur un axe syn­tag­ma­ti­que elle permet la confron­ta­tion d’expé­rien­ces déjà mises en forme. Sur un axe para­dig­ma­ti­que, elle met au jour une pro­fon­deur qui révèle que les stra­tes d’expé­rien­ces pas­sées cons­ti­tuent un ter­reau favo­ra­ble à l’éclosion d’une cons­cience sin­gu­lière. Elle permet de pro­po­ser l’hypo­thèse que le roman néo-vic­to­rien n’est pas seu­le­ment une forme hybride du roman mais aussi – et sur­tout ? – une forme hybride de l’écriture de l’Histoire.


Elise Trogrlic : « Pratiques de l’ins­ta­ble : l’hybride entre échec et fer­ti­lité dans le dis­cours de John Edgar Wideman sur Alberto Giacometti »

Dans son roman Two Cities (1994), le roman­cier afro-amé­ri­cain John Edgar Wideman fait adve­nir une ren­contre cultu­relle incongrue entre son per­son­nage Martin Mallory, vieux pho­to­gra­phe ama­teur qui finit ses jours dans le ghetto noir de Pittsburgh, et le sculp­teur Alberto Giacometti. Dans les let­tres adres­sées à Giacometti que Mallory n’enverra jamais, Wideman arti­cule une esthé­ti­que qui met en avant l’hybri­dité géné­ri­que qui est le propre de toute son écriture de fic­tion. En croi­sant sa réflexion lit­té­raire avec une réflexion sur les arts visuels, Wideman fait se ren­contrer texte et image à leur point de rup­ture : chez Giacometti, c’est l’ins­ta­bi­lité même des sculp­tu­res et l’aveu – fécond – d’échec de repré­sen­ta­tion terme à terme du monde qui fas­cine Wideman. Le roman tout entier se fait l’écho de la volonté de Wideman non seu­le­ment de croi­ser les pra­ti­ques artis­ti­ques et d’ins­tau­rer un dia­lo­gue entre les arts, mais aussi, en dis­qua­li­fiant toute esthé­ti­que uni­vo­que, de cons­ti­tuer le texte en ter­reau fer­tile qui pro­duit des images, des sons, des voix tou­jours mul­ti­ples et sou­vent pro­ches de l’informe. C’est en reven­di­quant et en pra­ti­quant l’ins­ta­bi­lité et la dés­ta­bi­li­sa­tion – de la syn­taxe, de la voix roma­nes­que, de la struc­ture tem­po­relle - que Wideman uti­lise l’hybri­dité pour relan­cer son écriture de fic­tion et en explo­rer les limi­tes en tant que sys­tème de repré­sen­ta­tion.


Héliane Ventura : « La vio­lence à l’état pur : l’her­mé­neu­ti­que de l’hybri­dité dans la fic­tion amé­rin­dienne, et la fic­tion non-amé­rin­dienne »

Cette pré­sen­ta­tion s’inté­res­sera à la résur­gence de la vio­lence dans trois contex­tes très éloignés et appa­rem­ment dis­pa­ra­tes. Dans la lit­té­ra­ture cana­dienne du ving­tième siècle, elle explo­rera le motif Algonquin du wen­digo can­ni­bale, ce mons­tre au coeur de glace et aux yeux de sang qu’Eden Robinson met en scène dans la nou­velle “Dogs in Winter” (Traplines, 1996), ainsi que le tueur fami­li­cide auquel Alice Munro consa­cre une nou­velle inti­tu­lée “Free Radicals” (Too Much Happiness, 2009). Dans la lit­té­ra­ture du dix-neu­vième siècle, elle mettra en évidence le meur­trier fra­tri­cide de James Hogg dans The Private Memoirs and Confessions of a Justified Sinner (1824). L’objec­tif de cette pré­sen­ta­tion est d’ana­ly­ser les stra­té­gies de repré­sen­ta­tions qui se fon­dent sur le pas­sage de la vul­né­ra­bi­lité à la des­truc­tion afin de sou­li­gner la soli­da­rité entre l’animal et l’humain, la com­pli­cité entre détruire et être détruit et les pro­ces­sus de réver­si­bi­lité simi­lai­res qui se met­tent en place dans les trois récits. Par l’ana­lyse de la résur­gence du visuel dans le tex­tuel, cette pré­sen­ta­tion déli­mi­tera les zones de contact de la cons­truc­tion lit­té­raire d’une iden­tité hybride, pos­tin­dienne, post­mo­derne et gothi­que.


Jean-Marc Victor : « Formes et figu­res de l’hybri­dité dans Sanctuary de William Faulkner »

Toute l’œuvre fic­tion­nelle de William Faulkner, à l’image d’une large part de la lit­té­ra­ture du Sud des Etats-Unis, est hantée par la crainte d’un mélange des races – « mis­ce­ge­na­tion ». Ressentie par les per­son­na­ges tantôt comme moment d’une crise iden­ti­taire, tantôt comme signe d’un into­lé­ra­ble déclin dont les tenants d’un Sud réac­tion­naire et eugé­niste s’évertuent à inver­ser le cours, cette han­tise uti­li­sée comme res­sort dié­gé­ti­que est un des innom­bra­bles ava­tars de l’impur dans le vaste cycle roma­nes­que faulk­né­rien. Centrale dans cer­tains opus (Light in August notam­ment), elle revêt dans Sanctuary (1931) un carac­tère cryp­ti­que et euphé­misé dont il s’agira d’évaluer ici l’effi­ca­cité dra­ma­ti­que et les enjeux esthé­ti­ques. En effet, en l’absence de per­son­nage cen­tral noir ou métisse, Popeye, gang­ster éternellement vêtu d’un com­plet noir, devient à plu­sieurs repri­ses dans le cours du roman, et avec une insis­tance révé­la­trice, « that black man ». Du moins est-ce ainsi que le dénom­ment à la fois Temple Drake, celle que Popeye l’impuis­sant a violée à l’aide d’un épi de maïs, et Horace Benbow, qui tente en vain de blan­chir l’inno­cent accusé à la place de Popeye. Le (non-)récit du viol de Temple qu’elle-même fait à Horace dans une remar­qua­ble anti-confes­sion fera plus par­ti­cu­liè­re­ment l’objet d’une micro-lec­ture où sera mise au jour la grande diver­sité des moda­li­tés de l’hybri­dité telle qu’elle se déploie chez Faulkner sous le poids d’un silence à valeur de cen­sure. En inven­tant a pos­te­riori les para­des qui auraient pu la sauver du viol, moment de mons­trueuse hybri­da­tion de l’humain et du végé­tal, Temple s’ima­gine autre et, ce fai­sant, s’hybride elle aussi de manière inat­ten­due : elle se voit homme mais aussi enfant, pro­duit du croi­se­ment gro­tes­que entre Lady Macbeth (dans une ré-écriture du célè­bre unsexing de l’héroïne sha­kes­pea­rienne) et Alice au Pays des Merveilles (fausse ingé­nue sans cesse méta­mor­pho­sée et pré­ci­pi­tée dans un uni­vers de vio­lence où temps et codes se dérè­glent). Ce sont aussi les codes du roman poli­cier qui s’hybri­dent dans un jeu inter­tex­tuel qui finit par pren­dre en charge, dans son métis­sage formel, les effets dés­ta­bi­li­sants de l’impro­ba­ble ren­contre entre la jeune vierge blan­che et le petit homme (en) noir.


Kerry-Jane Wallart : « Autorité impé­riale et pers­pec­tive renais­sante dans The Enchantress of Florence de Salman Rushdie »

Dans un texte impor­tant consa­cré à la conti­nuité entre lit­té­ra­tu­res colo­niale et post-colo­niale, Elleke Boehmer décrit ces pre­miè­res comme, aussi, un acte d’appro­pria­tion rhé­to­ri­que. S’il est vrai que Salman Rushdie est le plus sou­vent lu comme un auteur jouant à l’infini sur l’absence d’essence, de point de vue stable, sur l’illu­sion des cer­ti­tu­des et sur le mélange des mondes, cette com­mu­ni­ca­tion visera à mon­trer qu’il se des­sine quand même les contours d’une auto­rité dans ses romans, et notam­ment dans le der­nier d’entre eux, The Enchantress of Florence. Je ten­te­rai notam­ment de cerner la notion de pers­pec­tive telle qu’elle est tra­vaillée dans ce texte qui, après tout, se passe pen­dant la Renaissance et se pose expli­ci­te­ment, à plu­sieurs repri­ses, cette ques­tion cen­trale de notre repré­sen­ta­tion moderne. Elle devient si impor­tante dans The Enchantress of Florence que le lec­teur est guidé vers un inter­texte sémi­nal, celui des Cités Invisibles de Calvino, les­quel­les sont mimées sur la page. Une telle entre­prise, qui entre­prend d’englou­tir le monde et de le mimer, relève bien de cette atti­tude rush­dienne démiur­gi­que et pres­que didac­ti­que, qui fait de lui, peut-être, et contre toute attente, le chan­tre le moins convaincu de l’hybri­dité post-colo­niale.


David Waterman : « La zone de contact en temps de guerre : pro­messe et ter­reur de l’hybri­dité dans The Wasted Vigil de Nadeem Aslam »

Le roman récent de Nadeem Aslam, The Wasted Vigil (2008), se déroule dans l’Afghanistan contem­po­rain en pleine guerre : la maison du méde­cin anglais (aupa­ra­vant son cabi­net et une ancienne fabri­que de parfum) devient le point focal d’un espace trans­cultu­rel met­tant en rela­tion plu­sieurs sou­ve­nirs per­son­nels et his­toi­res col­lec­ti­ves. Cette zone de contact ras­sem­ble des afghans, russes, anglais et amé­ri­cains dans une ambiance de conflit, car cer­tains per­son­na­ges résis­tent à l’idée d’une iden­tité ambi­va­lente, met­tant en relief à la fois la pro­messe et la ter­reur de l’hybri­dité dont Jopi Nyman parle, en fai­sant réfé­rence à Homi Bhabha. Cette dicho­to­mie est repré­sen­tée de manière figu­rée par la statue du Bouddha et une mine anti-per­son­nelle, tous deux enter­rées dans le jardin. Certes, les auto­ri­tés pré­fè­rent une iden­tité par­fai­te­ment enca­drée, sur­tout en temps de guerre, et dans ce cas les Talibans et la CIA sont pré­sents pour contrô­ler les appar­te­nan­ces idéo­lo­gi­ques, fai­sant le tri entre ami et ennemi ; ceux qui pré­ten­dent à une iden­tité métisse sont sus­pects. Cette maison (je pense à « Heartbreak House » de Shaw) est un micro­cosme de l’Afghanistan actuel, une com­pres­sion de l’espace / temps des influen­ces géo­po­li­ti­ques qui mena­cent de l’exté­rieur ainsi que des his­toi­res indi­vi­duel­les et sou­ve­nirs trau­ma­ti­ques des per­son­nes ras­sem­blées et qui mena­cent de l’inté­rieur. La maison, comme l’Afghanistan, est le champ qui sert pour les batailles impor­tées. Malgré les ten­ta­ti­ves nom­breu­ses, la pro­messe d’une iden­tité hybride et d’une com­pré­hen­sion mutuelle se trouve sou­vent refou­lée sous la ter­reur du soup­çon et par les fan­tô­mes du passé.


Eileen Williams-Wanquet : « The Rape of Sita (1993) de Lindsey Collen : la poli­ti­que de l’hybri­dité »

Lindsey Collen est née en Afrique du Sud en 1948, mais vit à l’île Maurice, où elle est très impli­quée poli­ti­que­ment, et où se situent tous ses romans. The Rape of Sita (1993), qui asso­cie his­to­ri­cité et méta­fic­tion, fait partie ce qui a été nommé « le tour­nant éthique » dans la lit­té­ra­ture contem­po­raine. La forme de ce roman est essen­tiel­le­ment hybride. Or, c’est cette poé­ti­que hybride elle-même qui donne au roman sa dimen­sion poli­ti­que et éthique, car elle agit sur un plan spé­cu­la­tif et éthique pour re-penser les struc­tu­res ima­gi­nai­res qui nous façon­nent. Les réfé­ren­ces trans­tex­tuel­les asso­cient les cultu­res indien­nes et occi­den­ta­les : les deux hypox­tex­tes, le Ramayana et The Rape of Lucrece, ser­vent à re-visi­ter l’hypo­texte plus diffus qu’ils trans­met­tent, à savoir le mythe popu­laire de la femme pure qui est cou­pa­ble de son viol. L’enra­ci­ne­ment dans le temps et l’espace relève, à la fois, des conven­tions réa­lis­tes et de la per­cep­tion post­mo­derne de l’Histoire comme dis­cours : la recontex­tua­li­sa­tion réa­liste des hypo­tex­tes dans un contexte de lutte des clas­ses à l’île Maurice dans les années 1980 — dont l’idéo­lo­gie patriar­cale est signa­lée par des réfé­ren­ces inter­tex­tuel­les à The Waste Land de T.S. Eliot — décons­truit le mythe patriar­cal, révé­lant son fonc­tion­ne­ment vio­lent, le viol deve­nant une méta­phore pour toute tyran­nie, publi­que ou privée. La stra­té­gie nar­ra­tive intè­gre la forme de la tra­di­tion orale, et ajoute la figure récur­rente de l’andro­gyne asso­ciée à une phi­lo­so­phie hin­douiste, pour « contre-inter­pel­ler » le méta­ré­cit patriar­cal et appe­ler à un chan­ge­ment radi­cal de nos struc­tu­res ima­gi­nai­res.


Laetitia Zecchini : « L’hybri­dité et l’étrangeté char­riés par l’his­toire : une poésie indienne ‘exi­li­que’, mino­ri­taire et impro­pre »

Cette pré­sen­ta­tion se pro­pose d’inter­ro­ger la ques­tion de l’hybri­dité à tra­vers le dépla­ce­ment ou le décen­tre­ment de la notion (his­to­ri­que et méta­pho­ri­que) d’exil, telle que celle-ci a été théo­ri­sée par Edward Saïd. Cette expé­rience his­to­ri­que de dis­lo­ca­tion, qui a pro­vo­qué l’arra­che­ment au lieu impli­que une « double vision » et une plu­ra­lité de regards qui empê­che de s’ériger comme pos­ses­seur ou déten­teur d’une mémoire, d’un récit, d’une langue ou d’une iden­tité exclu­sive. L’exil ouvre également une brèche où s’engouf­fre l’alté­rité, la cons­cience de plu­sieurs mondes. Edward Saïd défi­nit la condi­tion « exi­li­que » comme la ten­sion dia­lec­ti­que et per­pé­tuelle entre dif­fé­ren­tes appar­te­nan­ces, à « tenir ensem­ble » dans une com­plexité irré­duc­ti­ble qui inter­dit toute syn­thèse homo­gé­néi­sante. La condi­tion exi­li­que est aussi celle de l’intel­lec­tuel, qui refuse l’ins­tal­la­tion dans un « chez-soi » ou un « pré­fa­bri­qué » de la pensée pour pri­vi­lé­gier la dés­ta­bi­li­sa­tion ou l’inconfort (qui rap­pelle la « unho­me­li­ness » de Homi Bhabha). L’exil a donc aussi une portée cri­ti­que et poli­ti­que qui désa­morce à la fois les dis­cours majo­ri­tai­res et les filia­tions homo­gè­nes mais aussi la quête des ori­gi­nes. Célébrer la com­plexité et l’his­to­ri­cité de la langue et de l’iden­tité c’est aussi s’inter­dire de retrou­ver un enra­ci­ne­ment, une idée de la nation, une pureté ou un « pedi­gree » à res­tau­rer ou à sacra­li­ser der­rière ou avant l’his­toire. Or c’est bien la reven­di­ca­tion d’une hété­ro­gé­néité et d’une étrangeté char­riées par l’his­toire qui devient un enjeu poé­ti­que et poli­ti­que en Inde et dans la lit­té­ra­ture indienne. Interroger la notion d’hybri­dité dans le contexte indien appa­raît d’autant plus inté­res­sant que la flui­dité des fron­tiè­res lin­guis­ti­ques, des cen­tres et des péri­phé­ries, mais aussi des tra­di­tions, des tra­duc­tions et des textes (voir la notion de « réflexi­vité » théo­ri­sée par A. K. Ramanujan) est un des prin­ci­pes fon­da­men­taux de la culture indienne. C’est par la langue que cette hybri­dité se mani­feste et que les poètes indiens de langue anglaise, langue dépla­cée, cher­chent la langue de l’autre, la place de l’autre, l’his­toire de l’autre, en refu­sant d’être défi­nis, cir­cons­crits ou pos­sé­dés par une langue, un passé, une iden­tité et en reven­di­quant aussi un décen­tre­ment ou une mar­gi­na­lité qui devient para­doxa­le­ment signe d’hos­pi­ta­lité et de plu­ra­lité. C’est aussi par un jeu sur le mul­ti­lin­guisme et la tra­duc­tion, en brouillant les fron­tiè­res entre les lan­gues, les voix, les auteurs, les textes « ori­gi­nels » et les « ver­sions » ulté­rieu­res. A tra­vers cette poé­ti­que de l’hybri­dité et de l’enche­vê­tre­ment, c’est à la fois l’idée de l’appar­te­nance exclu­sive et majo­ri­taire mais peut-être aussi l’idée du « propre » et de la « pro­priété » qui sont ici désa­mor­cées. Il n’y a pas plus de langue « propre », d’his­toire « propre », que de « pro­pre­ment indien ».


Tania Zulli : « Identités en tran­si­tion. Sociétés nou­vel­les dans les nar­ra­tions colo­nia­les de R. L. Stevenson »

Durant l’année du Jubilé (1887), la reine Victoria décida d’intro­duire à la cour un domes­ti­que indien, afin de « faire entrer l’Empire dans la salle à manger » (Richard Mullen and James Munson, Victoria. Portrait of a Queen, p. 111). La pré­sence de visa­ges orien­taux et de par­fums exo­ti­ques au châ­teau de Windsor, était censée sug­gé­rer l’idée d’une société ouverte, d’un pays tolé­rant où la pré­sence de per­son­nes ori­gi­nai­res des colo­nies serait perçue comme une chose ordi­naire. Toutefois, le tissu cultu­rel qui affi­chait l’image d’une nation cos­mo­po­lite était com­plexe, contro­versé et pas encore abouti : un point cru­cial concer­nait la per­cep­tion même des indi­gè­nes en tant qu’enti­tés nou­vel­les. Les Anglais culti­vés du XIXe siècle ne consi­dé­raient pas encore la pré­sence de « l’autre » comme une chose admis­si­ble ; la confron­ta­tion des deux cultu­res ne contri­bua pas à faire accep­ter « l’autre », mais ren­força davan­tage une cer­taine ambi­guïté en pré­sen­tant l’idée même d’hybri­dité comme une forme de dévia­tion qui secoua l’Empire dans ses fon­da­tions épistémiques. L’oscil­la­tion per­ma­nente entre la néces­sité d’inté­grer la figure de « l’autre » et la crainte d’une véri­ta­ble ren­contre avec la diver­sité était la prin­ci­pale carac­té­ris­ti­que de cette époque. Mon arti­cle se pro­pose d’ana­ly­ser l’idée de l’hybri­dité dans les nar­ra­tions colo­nia­les de la fin de l’époque vic­to­rienne en tant qu’hypo­thèse théo­ri­que basée sur et influen­cée par des forces idéo­lo­gi­ques ambi­va­len­tes ; ce fai­sant, je m’inté­res­se­rai à la valeur des ren­contres inter­ra­cia­les à la fin du XIXe siècle dans les nar­ra­tions de l’époque colo­niale, afin de mon­trer com­bien les indi­gè­nes peu­vent être vus comme des « palimp­ses­tes his­to­ri­ques » (Elleke Boehmer, Colonial and Postcolonial Literature, p. 79). En établissant un paral­lèle entre culture et lit­té­ra­ture, je démon­tre­rai qu’en dépit de mani­fes­ta­tions idéo­lo­gi­ques et intel­lec­tuel­les d’into­lé­rance et de rejet, « l’autre » impé­rial fit partie inté­grante de la culture popu­laire et repré­senta une réelle oppo­si­tion à la société bien pen­sante, urbaine et socia­le­ment déve­lop­pée. A cette fin, j’ana­ly­se­rai la nou­velle de R. L. Stevenson « The Beach of Falesà » en tant que récit oscil­lant entre d’une part, la reconnais­sance de l’auto­rité colo­niale et d’autre part la peur face à cette nou­velle situa­tion. Dans cette nou­velle, le statut final du pro­ta­go­niste est emblé­ma­ti­que d’une nou­velle iden­tité de l’homme blanc qui semble cons­truite sur une idéo­lo­gie rétro­grade, mais naît en fait d’un dyna­misme cultu­rel et intel­lec­tuel, confir­mant à la fois l’« impos­si­bi­lité de l’essen­tia­lisme » (Robert Young, 1995) et la néces­sité d’une pensée à la croi­sée des cultu­res.